Entretien réalisé en 2015 avec Pierre Fruchard - commissaire d'exposition
extrait du cahier de Crimée n°26, galerie Françoise Besson, Lyon, 2016
Parlons un peu de ton parcours, Mathieu. Tu as 31 ans. As-tu toujours eu l’impression
que tu allais te diriger vers une carrière d’artiste, de plasticien ?
Je voulais faire du spectacle vivant. J'avais envie de me déguiser. J'ai d'abord fait de la danse,
de la musique, puis du théâtre. J'ai découvert l'art contemporain quand j'étais adolescent, à la fin des années 90. Ça allait de pair avec mon envie d'être libre, de ne plus obéir à aucune règle ou contrainte que je ne me sois fixée moi-même.
Plus tard, aux Beaux-Arts, je me suis un peu dispersé. Il m'a fallu apprendre à gérer toute cette liberté qui arrivait d'un coup. J'ai eu envie d'essayer un maximum de choses.
Je ne saurais te dire vers quoi je me dirige. Aujourd'hui, à Lyon depuis quatre ans, je n'envisage
pas ma pratique artistique sans mes activités annexes.
Dans ton travail, il y a beaucoup de références à l’actualité : tu parles des SDF,
des migrants, des marginaux…
J'essaye de digérer cette actualité insupportable, de calmer mes ardeurs, d'évacuer la trop lourde charge politique que pourraient contenir mes pièces, parce que c'est dans le champ poétique qu'est ma place. Mais je ne peux pas renier mes sentiments. J'ai commencé, il y a quelques années, des recherches sur le minimum habitable, le minimum vital. J'étais en résidence chez des architectes et je me suis rendu compte que les stratégies de construction développées par les gens du voyage, qui vivaient à côté, m'intéressaient plus que les blocs virtuels que mes hôtes assemblaient.
Je me demande toujours comment me réapproprier l'espace par l'imaginaire, un peu comme les situationnistes qui relient les territoires aux états d'âme qu'ils provoquent. Je voudrais m'affranchir de l'aspect pratique qui conditionne d'habitude notre rapport au monde, avec ses pouvoirs et ses hiérarchies.
J’ai l’impression que tu n’as pas de matériaux
ou de techniques que tu utilises en permanence.
Je fais quand même beaucoup de dessins et de moulages, mais j'aime me retrouver devant un tutoriel en ligne et découvrir comment arriver à mes fins d'une manière inconnue jusqu'alors.
Je réfléchis, au cas par cas, à la technique la plus appropriée à ce que je veux faire : elle s'ajuste
au projet. Elle va dans tous les sens des matériaux que je manipule. C'est important pour moi de continuer à expérimenter. Je pars du principe que je peux tout apprendre. Je me dis que je peux contrefaire le monde et me passer du "ready-made" comme ça.
Mathieu, parle-moi du lieu où nous nous trouvons, de cet endroit où tu travailles.
Penses-tu qu’il est révélateur de tes productions ? Qu’illustre-t-il de ton travail ?
C'est ici que je vis et que je fais tout. Ça n'est pas grand et je le partage, il faut donc que je fasse attention. Je m'organise pour qu’en peu de temps tout soit pliable et rangeable, que l'espace récupère sa fonction de cuisine, de salle à manger, de salon, de couchage provisoire. Cet endroit m'oblige aussi à faire le tri. Ici, il n'y a plus la place de stocker grand chose. En attendant, tout tient sur la commode ou au dessus de la bibliothèque. Heureusement, c'est haut de plafond.
Parle-moi du papier…
J'y consigne croquis, simulations, notes. C'est précieux. C'est une matière noble. Un support officiel. Mes papiers, c'est mon identité. Je me suis demandé ce que ça représentait. J'en ai fait
des scans et des photocopies, je les ai retouchés. Je ne voulais pas m'afficher donc j'ai enlevé les informations trop personnelles. Je ne voulais garder que l'essentiel. Il n'est resté qu'une trame légère et un cadre, un autoportrait en laissez-passer holographique.
J'ai conservé tout ça dans mon carton, qui est recouvert du même motif que la plupart des cartons à dessins : le moucheté d'Annonay. Je me suis intéressé à ce décor inventé vers 1820 par un descendant de la famille Montgolfier. Il s'agit d'une technique simple de projection à l'aide d'une brosse de chiendent. C'est aussi à ce papier, un classique, qui tient du granit et que l'on range pourtant dans la catégorie des faux-marbrés, que j'ai voulu rendre une forme d'hommage.
Quels sont les éléments qui nourrissent ta créativité ?
Je me suis toujours nourri de ce que je faisais à côté. J’ai bossé dans un centre d’appel et j’ai commencé à faire des pièces autour du téléphone, à écrire des romans en textos. Même quand
je faisais des ménages, j’ai fait une pièce avec un aspirateur et d’autres avec des serpillières.
Aujourd’hui, le fait d’être prof d’arts appliqués me fait pencher de plus en plus vers le design.
Je m'intéresse davantage aux questions de fonctionnalité, à l'histoire des techniques et des motifs. Je puise aussi dans l'Antiquité.
Quels sont les artistes et les mouvements artistiques qui te paraissent être des points d’appui
pour mieux entrer dans ton univers ?
J'aime Bosch, son ambiguïté, ses monstres, ses tableaux délirants qui racontent pourtant précisément son monde, son époque et la nôtre. Giotto, pour ses couleurs, sa redéfinition
et sa gestion de l'espace, son humanisme. Pontormo, aussi, pour ses perspectives, ses poses acrobatiques et tout un tas d'autres mauvaises raisons maniéristes. Paul Thek, enfin, pour ses dispositifs, ses moulages mais aussi pour ses carnets, son histoire personnelle.
Mais il y a un tas d'artistes auxquels je voudrais rendre hommage. J'ai quelquefois l'impression
de les parodier. Les anonymes aussi m'inspirent. Les faiseurs de totems ou de tutos.
J'aime les bijoux, la préciosité, les motifs kitschs ou traditionnels. En ce moment, je me pose
des questions sur Arts & Crafts. C'est très lié à mon travail d'artiste-enseignant, au rapprochement entre les beaux-arts et les arts-appliqués qui s'y opère.